Des réticences après le traité de protectorat et les premières conquêtes
Présence allemande au Togo (4)
Curt Karl Bruno von Francois
Quelques semaines après la signature du traité de protectorat entre Dr Gustav Nachtigal et le Roi Mlapa de Togoville, les Allemands ont
travaillé à la délimitation sur la côte et préparé la conquête de l’hinterland. Pour ce faire, ils ont fait preuve de diplomatie et de circonspection.
Des réticences après le traité et l’arrivée du commissaire impérial
Falkenthal
Nonobstant la signature du traité de protectorat intervenu le 5 juillet 1884, le chef Mensah de Porto-Seguro (Agbodrafo) était réticent, affirmant
être déjà engagé avec les Français. Et ce n’est qu’à l’arrivée le 5 septembre 1884 du Capitaine de corvette allemand Otto Herbig dans le milieu qu’il a obtenu un protectorat. Mais contre toute
attente, « le 12 avril 1885, le capitaine de vaisseau Dornain prend possession de Grand-Popo au nom de la France puis, le 17, hisse les couleurs françaises à Petit-Popo (Aného) et,
le jour suivant, à Porto-Seguro. Sur ses talons, l’amiral Knorrr, commandant le « Bismarck », vient rétablir les positions allemandes et échanger avec le représentant français des
propos dépourvus d’aménité », révèle Robert Cornevin dans son ouvrage « Histoire du Togo ».
Arrivé au Togo en juin 1885 à l’âge de 27 ans, le Commissaire impérial Ernst
Falkenthal s’est escrimé à agrandir le territoire allemand à Glidji. Et grâce à la Convention de Berlin conclue le 24 décembre 1885, la France reconnaît le protectorat allemand sur le territoire
du Togo et renonce à ses droits sur Porto-Seguro et Petit-Popo (Aneho) tandis que le gouvernement allemand s’est engagé à s’abstenir de toute action politique à l’Est de la ligne frontière qui
sera située entre Petit-Popo et Agoué. « Conformément à l’article 2 du protocole signé à Berlin le 24 décembre 1885, les soussignés, lieutenant-gouverneur du Sénégal et dépendances,
Docteur Jean Bayol, et le commissaire impérial du Togo, Ernst Falkenthal, après s’être réunis sur les lieux, ont fixé d’un commun accord comme ligne séparative entre les territoires anglais et
les territoires allemands de la Côte des esclaves, le méridien qui, partant de la côte, passe par le point ouest de la petite île, nommée île Bayol située dans la lagune entre Agoué et
Petit-Popo, un peu à l’Ouest du village de Hilakondji, prolongé jusqu’à la rencontre du 9ème nord … », stipule le procès verbal de la
délimitation de la Convention de Berlin signé le 1er février 1887.
Pour la partie occidentale, l’Allemagne et la Grande Bretagne sont aussi parvenus
à un accord et la délimitation sur le rivage est effectuée les 14 et 28 juillet 1886, à 2 km à l’Ouest de Lomé. Après ces succès diplomatiques, Falkenthal n’hésite pas à annexer à son nouveau
territoire Tové, Kévé, Agotimé avant son départ en mai 1887. Son secrétaire Paul Grade, assumant l’intérim et Dr Ernst Henrici ont pu « se rendre jusque dans la région de Kpalimé et du Mont
Agou (août 1887) et établir sans difficulté l’autorité allemande sur des populations toutes pacifiques. « La route du Nord, vers l’intérieur musulman, est ouverte », écrivit
triomphalement Grade à Bismarck le 15 août 1887 », selon le Prof. Nicoué Lodjou Gayibor dans « Le Togo sous domination coloniale (1884-1960) ».
La conquête de l’hinterland : 1ère phase
Le Capitaine Curt Karl Bruno von François. Il est considéré
comme l’une des brillantes figures de l’histoire coloniale allemande. Descendants de Huguenots français il a été commissaire impérial du Togo en 1893 et Général d’armée pendant la Première Guerre
Mondiale. Von François part le 3 février 1888 vers le nord-ouest, franchit la montagne au nord de Palimé par le col qui porte son nom (Françoispass) – l’endroit où Jesko von Puttkammer a créé
plus tard le poste de Misahöhe, NDLR (Lire « Missahoé ou Misahöhe : au nom d’un amour impossible et de l’Allemagne » publié dans Liberté N°1627 du
31 janvier 2014) – puis poursuit sa route vers Salaga, Yendi, Gambaga et jusqu’au 12e parallèle. Partout il passe des traités avec les chefs, notamment ceux de Yendi (24 mars 1888),
Gambaga (8 avril 1888), Karaga (7 mai 1888), Nantong (11 mai 1888) et Salaga (11 juin 1888), mettant les territoires sous protectorat allemand. « Mais les Anglais, parfaitement informés
des projets de leurs voisins, ayant dans l’Achanti des difficultés telles qu’il leur est difficile de monter plus au nord, réussissent à passer avec l’Allemagne un traité (12 et 14 mars 1888)
instituant une zone neutre, laquelle couvre les deux tiers du pays que Von François vient en somme de « rattacher » à l’Allemagne et rendent tous ses efforts vains »,
rappelle Cornevin.
Ludvig Wolf et Eugen Kling. Le médecin-major, Dr Ludwig Wolf,
est arrivé en février 1888 à Aného et doit installer à l’intérieur une base d’exploration et de recherches scientifiques. Parti de Zébé le 29 mars 1888, l’expédition passe à Vogan, Gamé, Nuatja
(Notsè), Atakpamé où Dr Wolf prévoyait d’installer le poste. Mais l’hostilité des populations d’Atatkapmé l’a contraint à se retrouver à Bato dans l’Akposso puis à Yégué dans l’Adélé où il a
finalement créé le poste baptisé Bismarckburg (Lire « Bismarckburg, la ville de Bismarck, dans l’Adélé » publié dans Liberté N°1622 du 24-janvier 2014). Après avoir
passé des traités avec les chefs des localités proches de Bismarckburg, il conclut le 7 mai 1888 un traité avec le chef supérieur des Kotokoli, Djobo Boukari. Ensuite, il emprunte l’itinéraire
Pasoua, Kjirkiri, Séméré, Barai, Djougou. Comme il atteint le pays Bariba, il fait le 7 juin une chute de cheval; le 9, un accès pernicieux se déclare et, le 26, il meurt à Dabari. Son interprète
Hardesty, au lieu de rentrer immédiatement, continue plusieurs semaines à se promener dans le Borgou et revient seulement le 21 novembre à Bismarckburg. Son attitude étant jugée plus que
suspecte, il est traduit devant les tribunaux, condamné aux travaux forcés à perpétuité et déporté au Cameroun.
Après avoir poursuivi des actions d’exploration méthodique autour de
Bismarckburg, le Capitaine Eugen Kling reprend en 1891 la mission de Wolf vers le pays Bariba, mais se trouve stoppé devant Kouandé par l’attitude hostile du chef. Son itinéraire de retour passe
par Djougou, Aledjo-Kadara, Bassari. C’est au cours de cette mission que Kling réussit à passer des traités de protectorat avec le chef de Soubroukou (12 décembre 1891) et celui de Bafilo (19
décembre 1891). Quelques mois plus tard, Kling entreprend encore une expédition par Sansougou, Bimbila, Salaga et Kintampo. Mais, atteint par une grave dysenterie, il doit regagner l’Allemagne où
il meurt quelques jours après son arrivée à Berlin (15 septembre 1892).
Des échecs qui ont fait l’affaire de la France qui a envoyé des reconnaissances
dans le nord après la neutralisation de Béhanzin au Dahomey.
Dr Richard Büttner et Hans-Georg von
Doering. « Durant cette période de recueillement, les reconnaissances se poursuivent autour des postes de Misahöhe et Bismarckburg. Le Dr Büttner parcourt le pays Bouem, établit
une liaison entre Misahöhe et Bismarckburg, fait un rapide inventaire botanique de ces régions et le bilan des explorations effectuées en 1890-1892 au Togo », présente Cornevin.
Le premier lieutenant Hans-Goerg von Doering, à la tête du poste de Bismarckburg en 1893 et 1894, fait une série de tournées dans les environs qui
lui permettent de faire reconnaître l’autorité allemande aux diverses populations visitées. Du 5 au 31 août 1893, il reconnaît vers l’Est les pays Kpessi et Anyagan, du 14 au 19 octobre, il
visite l’Adjouti et le fameux centre de pèlerinage du « fétiche » Bouroukou. Enfin, du 26 mai au 15 juin, von Doering va jusqu’à Bassari par le Fasao, voyage difficile où le jeune
officier doit faire preuve de sang froid, notamment en pays Bo, à Kwakwamouri où les jeunes gens les menacent. Tout près de Bassari, von Doering est pris d’un accès de fièvre et c’est à peu près
sans connaissance qu’il arrive à Binaparba (à 4 kilomètres de Bassari). Le chef Atakpa considéré comme chef supérieur des Bassari le fait attendre deux jours, puis finalement consent à accepter
les cadeaux, un traité de protectorat et le drapeau allemand. En rappel, c’est von Doering d’ailleurs qui a préconisé l’abandon de Bismarckburg au profit de la nouvelle station de
Kete-Krachi, située dans l’actuel Ghana.
A suivre prochainement « Les dernières expéditions
et la pacification de Togoland ».
Zeus AZIADOUVO