Togo, tous les indicateurs au rouge
Les fondements de l’inévitable départ de Faure Gnassingbé
L’actualité politique sous régionale est faite, ces derniers temps, d’un débat sur la présidence à vie. Du Burkina-Faso au Bénin, la démocratie a levé le bouclier contre les présidents à vie. Au Togo, la récréation continue, l’opposition n’a pas fini de résoudre ses divergences pour s’intéresser à Faure Gnassingbé qui lorgne un mandat de trop. Celui-ci se frotte les mains.
Gnassingbé Eyadéma a quitté la scène politique togolaise après trente-huit ans d’une dictature qui n’a laissé pour héritage qu’une image funeste au
pays. Comme si cela n’était pas assez scandaleux, après lui, Faure Gnassingbé, son fils initie une vile tradition au sommet du pays : la succession du père au fils. Après avoir pêché le pouvoir
dans un bain de sang, il boucle bientôt deux mandats et compte rempiler pour un troisième. Celui qui ignorait tout du protocole à ses premiers jours, s’y est accommodé et a pris gout. Il ne veut
pas lâcher prise. Sa machine à fraude à lui légué par le système RPT est tous les jours en train d’être huilée pour le rendez-vous de 2015. Opération de charme dans le bas peuple, lancement en
pompe de ce qu’on a appelé ‘’grands travaux’’, escamotage de l’opposition. Les législatives viennent d’ailleurs d’être organisées pour la bonne cause. Tout marche bien comme sur des roulettes
pour Faure Gnassingbé. Les élections locales, il n’en fait pas une priorité, du moins pas avant de s’être assuré d’une certaine victoire. Et ce n’est pas par hasard que, Barqué Barry Moussa, un
des maillons du laboratoire du régime, exprimant sa méfiance des locales, avance qu’il « …suffit de perdre Lomé pour que nous perdions le pouvoir ». Avant 2015, le régime cherche les moyens pour
esquiver les élections locales qui n’annoncent pas de bonnes couleurs à sa survie politique. Jusqu’ici, tout va bien dans le meilleur des mondes possibles pour le prince. Mais pour l’écrasante
majorité des Togolais, c’est la dèche, tout est en berne. Grâce à une fraude institutionnalisée, Faure jouit présentement d’un ‘’solide mandat’’ pour faire les reformes et changer le niveau de
vie des Togolais. Mais un mandat assis sur la fraude, dans un environnement très réfractaire aux affaires où les premiers besoins des populations se font désirer, est-il capable de miracle ? Dans
tous les domaines, tout marche pour une minorité et rien pour l’écrasant bas-peuple. Le niveau de vie des Togolais, un des plus bas en Afrique, est en total déphasage avec les coûts des biens,
produits et services et besoins de première nécessité, à commencer même par les services étatiques qui pouvaient être subventionnés pour amortir l’absence de politique vis-à-vis du niveau de vie
des masses. Entre autres illustrations, nous pouvons prendre le cas des services de communication. Dans plusieurs de nos écrits précédents, nous avancions que sur le plan africain, le Togo et la
Guinée étaient les pays les plus chers en tout services liés à la communication. Nous ne croyions pas si bien dire à l’époque, non seulement « …le coût des services de communication sont parmi
les plus élevés du monde » mais aussi leur « accès est encore limité et souffre de fréquentes interruptions ». Aujourd’hui, c’est le FMI, Fond Monétaire International, qui le dit dans son rapport
2013 sur le Togo. Le grand problème de la communication au Togo n’est pas seulement sa cherté, mais le caractère médiocre de ses prestations. Et cette situation semble être maintenue non
seulement pas pour des entrées de sous aux actionnaires toujours les mêmes, mais aussi pour des raisons politiques. Malgré le tapage fait autour de la fameuse fibre optique, l’internet continue
par être un luxe pour éviter que les réseaux sociaux relaient les informations qu’on souhaite étouffer dans l’œuf. L’ouverture de la concurrence dans les Télécom ne rendra pas service aux écoutes
téléphoniques qui permettent de surveiller les détracteurs politiques. Vous n’êtes pas sans savoir que de nos jours, le système d’écoute au Togo a tellement évolué que les agents de renseignement
n’ont même pas besoins de prendre place sur une table d’écoute pour brouiller ou écouter une communication entre des Togolais. De leur téléphone portable spécialisé, où qu’ils se trouvent, tous
les agents de l’ANR peuvent juste par un code et votre numéro de téléphone vous écouter ou vous interrompre si votre message n’est pas souhaitée. Que de fois n’a-t-on pas coupé ou brouillé le
réseau téléphonique soit pour des motifs électoralistes, soit pour arrêter un homme redouté ? Que les prestations télécom restent précaires et inaccessibles à tous au Togo est donc un atout pour
la survie du régime peu importe ce que cela coûte à l’économie ou à l’épanouissement des populations.
A côté d’une arrogante opulence des dirigeants, la simple eau potable continue par être une denrée rare dans certaines contrées. Même à Lomé, sa
distribution reste précaire et certains quartiers doivent se réveillés à des heures impossibles pour s’en approvisionner.
Parlant de la rareté de l’eau potable dans les fermes, nous gardons encore la triste image de femmes se bousculant avec les animaux dans une mare
non loin de l’axe Lomé-Kpalimé. Ceci à seulement un kilomètre de la somptueuse résidence que Faure a érigé au pied du mont Agou. Une résidence qu’il occupe à peine deux ou trois fois
l’an.
L’électricité, c’est une autre paire de manche. A ce sujet, le FMI doigtant notre pays, conclut à une « Capacité limitée de la production d’énergie,
85% importée » et le pire est que la fin du tunnel n’est pas proche d’autant qu’il n’existe aucune approche de solution. L’autorité ayant fatalement pris acte de son incapacité à y remédier si
tôt aux carences d’un secteur où les pauvres Togolais paient les conséquences de la consommation et du retard de payement des services publics et des gros bonnets. Il y a donc, un grand risque de
rupture en énergie, les pays fournisseurs devant, eux aussi, faire face à des pénuries. Pendant ce temps, on fait miroiter une certaine maquette d’un Lomé paradisiaque en 2025. Quel pays au monde
avez-vous vu se développer sans énergie ?
Sur un autre volet, les griots de la
République ventent une croissance économique qui n’existe que pour une minorité de privilégiés. Que vaut une croissance si elle ne touche pas le bas
peuple quand cette couche est de 73% en milieu rurale, 28% à Lomé et 45% dans les autres villes du pays ? Si croissance il y a eu, elle n’a donc rien changé pour le Togolais ordinaire car la
preuve est faite que ces dividendes ne sont pas équitablement partagés.
Des ministres qui ne tiennent que par leur capacité à louer leur bienfaiteur président, brandissent aussi le bitumage de quelques rues comme une
faveur qu’on fait aux Togolais qui doivent en réalité se laisser aider. Quand on sait que, allant de GER, à Centro pour aboutir à CECO-BTP sans oublier EBOMAF pour ne citer que quelques-unes, les
noms des autorités qui régentent le pays reviennent tantôt comme parrains tantôt comme vrais propriétaires. Ceux qui s’affichent comme chefs d’entreprises ne sont donc que des cache-sexes. Il y a
alors crainte que ces travaux soient une œuvre de SYSIPHE. Œuvres pour lesquels l’Etat doit encore mettre la main à la poche dans un avenir proche. Avec des entreprises tout récemment créées de
toutes pièces à l’annonce des grands travaux, avec des ministres qui harcèlent les chefs d’entreprises pour des commissions exorbitantes, jusqu’où le contrôle est-il efficace dans la confection
de ces voies de communication ? Inutile de vous informer qu’une entreprise comme EBOMAF a dû démissionner des appels d’offre de Lomé pour se replier sur les chantiers de la Savane afin d’éviter
tout contact avec les vautours qui hantent les BTP. Non seulement ils imposent des commissions impossibles mais aussi, c’est à tour de bras qu’ils réclament tantôt des voyages de sable, de
gravier ou des tonnes de ciment aux entreprises en chantier. On se rappelle que de sources bien informées, un ministre de la République a refusé une enveloppe à lui envoyée par une entreprise de
la place. Le tout puissant a tempêté pour dénoncer ce qu’il appelle « ingratitude » face à son service rendu à l’entreprise. Cette parenthèse finira par emporter le ministre de son portefeuille
au remaniement suivant. A cette allure, il va sans dire que les appels d’offre ont souvent des adjudicateurs pré-connus. Il y a alors crainte que la durée de vie de ces réalisations soit
largement en deçà des attentes sans que personne ne soit inquiété. Que vaut un contrôle technique dans les BTP pour un marché obtenu gré à gré ? On se rappelle comment toutes les rues réalisées
pendant le premier mandat de Faure ont été reprises à zéro comme si elles n’ont jamais été faites.
Faure Gnassingbé, c’est d’abord naturellement un président aux capacités limités. Il doit s’efforcer pour combler une carrure lacunaire tout en
faisant face à des groupes d’intérêt bien connus aussi bien de lui que des partenaires. Ils sont partout, ces hommes et femmes qui ont pris en otage des maillons clés de l’économie nationale. Ils
sont dans les mines : c’est toujours eux qui sont référencés dans les scandales financiers à l’extraction des phosphates ; ils sont dans les télécom : c’est encore eux qui sont les actionnaires
qui empêchent l’arrivé de réseaux concurrents; ils sont dans les BTP : c’est leurs intérêts qui se bousculent et réduisent les BTP aux marchés gré à gré pour plusieurs dizaines de milliards ;
dans la privatisation des entreprises publiques et autres opérations juteuses, on les rencontre. Quand Faure a démantelé les réseaux de son père, c’est eux y ont pris la place. Les mêmes
habitudes continuent avec des visages différents et l’incidence reste la même sur une population qui fait les frais. Voici les bases d’une mafia qui ne peut être démontée qu’avec une volonté
politique.
Depuis que la gestion du pays est devenue une affaire d’héritage, que peut-on reprocher à ces groupes d’intérêts bien établis en réseau pour faire
main basse sur des secteurs juteux qu’ils considèrent comme leur part de la lègue ? Dans beaucoup de secteurs, Faure Gnassingbé déjà diminué par l’incohérence qui a caractérisée son arrivée au
pouvoir, doit faire face à ces bandes qu’il contemple impuissant. C’est eux qui résistent à la reforme pour l’amélioration du climat des affaires. Les grandes décisions de justice ne leur sont
pas inconnues. Officiellement, ils sont tantôt membres de plusieurs conseils d’administration, tantôt conseillers ou consultants. Officieusement, s’ils ne sont pas pères fondateurs de toutes ces
grandes entreprises qui étouffent les appels d’offre, ils en sont actionnaires majoritaires. Ils sont un mal nécessaire pour Faure Gnassingbé. Entre eux et lui, les intérêts se chevauchent. Il
n’est d’ailleurs pas rare que le prince se retrouve avec eux dans les mêmes cercles vicieux. Quelle leçon Faure peut-il leur donner ? Qu’est-ce qu’un peuple peut-il attendre d’un président
oligarque-otage-consentant des groupes d’intérêts établis prêts à résister aux réformes qui viendraient mettre fin à leur hégémonie ? La seule solution, c’est le changement politique par le
départ d’un régime cinquantenaire, un régime qui a fabriqué des monstres qui freinent l’avancée de la République, des monstres qui obstruent la mise en œuvre de stratégies financières et
économiques approuvées. Que ce soit dans le domaine de la justice, des réformes économiques et institutionnelles, la remise du Togo dans la famille des Etats normaux sonnera le glas à ce régime
qui ne peut survivre si tout est normal. Quel espoir peut porter un président qui cultive l’impunité et par ricochet la violation permanente des droits de l’homme ? Mais jusqu’où la classe
politique de l’opposition peut-elle être à la hauteur pour que ce souhait cher aux Togolais cesse d’être un rêve?
Abi-Alfa
Tchaoudjo-ADOSSA-GADAO